Comprendre la variation génotypique dans la tolérance à la toxicité ferreuse du riz : mécanismes, stratégies d'atténuation et implications nutritionnelles
Mémoire, thèse
Résumé
La toxicité ferreuse est un facteur majeur limitant la production rizicole dans les rizières inondées ou irriguées, en raison de l'environnement anaérobie favorisant l'absorption excessive du fer ferreux (Fe2+) par le riz. Cela entraîne un brunissement des feuilles, un ralentissement de la croissance et une diminution du rendement lorsque les concentrations dépassent 300 mg kg⁻¹. Touchant près de 18 % des zones rizicoles mondiales, cette toxicité peut provoquer des pertes de rendement allant jusqu'à 100 %, menaçant la sécurité alimentaire de milliards de personnes. Bien que la gestion de l'eau et des nutriments puisse partiellement atténuer ce problème, la sélection de génotypes tolérants offre une solution à long terme plus pratique. Malgré les avancées dans la recherche sur les mécanismes de tolérance, une lacune persiste dans l'application des résultats en milieu contrôlé aux conditions réelles au champ, principalement en raison de la négligence de l'exposition chronique à la toxicité ferreuse et de l'omission de facteurs complexes sur terrain. De plus, une compréhension exhaustive des interactions entre les éléments nutritifs et leur impact sur la toxicité ferreuse, ainsi que sur l'équilibre nutritionnel des différents génotypes de riz, demeure incomplète, nécessitant une investigation plus approfondie.
Le premier chapitre de cette étude visait à examiner les mécanismes de tolérance de différents génotypes de riz dans des conditions réelles au champ, en utilisant un sol riche en fer des Hautes Terres centrales de Madagascar. Une expérimentation sur deux ans avec six/sept génotypes a été réalisée, comprenant des échantillonnages répétés de tissus jeunes et âgés à différents stades de croissance des plantes de riz, ainsi que la mesure de la teneur en éléments nutritifs des tissus et l'évaluation des caractères phénotypiques du riz. Plusieurs mécanismes, dont l'importance relative varie selon les stades de croissance, contribuent à la tolérance à la toxicité ferreuse chez le riz. Des rendements en grains plus élevés étaient principalement attribuables à une croissance végétative saine, résultant soit d'une réduction de l'absorption du fer (exclusion), soit d'une minimisation de l'effet d'une absorption excessive par compartimentation du fer dans les tissus plus âgés et par la tolérance tissulaire (inclusion). Les mécanismes d'exclusion faiblissent au stade reproductif, entraînant une accumulation du fer dans la biomasse aérienne. Cependant, les génotypes tolérants maintiennent une bonne croissance grâce à une combinaison de compartimentation du fer et de tolérance tissulaire, permettant un remplissage des grains sans entrave majeure. Les concentrations en phosphore (P) et en potassium (K) tissulaires étaient proches ou inférieurs aux seuils de carence tout au long de la croissance. Bien que l'exclusion du Fe2+ par oxydation dans la rhizosphère puisse limiter l'accès des ions P et K aux racines, les variations dans leurs concentrations tissulaires étaient minimes par rapport aux écarts de croissance. Ainsi, il est probable que les taux de croissance aient été le principal facteur influençant les différences d'absorption, avec les réponses à la toxicité ferreuse comme principale contrainte. Le rendement en grains n'était pas corrélé aux symptômes visuels. Pour une sélection précise, il faut élaborer des protocoles de criblage capturant les mécanismes de tolérance, en tenant compte de leur variabilité selon le stade de croissance et de leurs interactions avec d'autres facteurs comme la nutrition minérale. Bien que la sélection basée sur les symptômes visuels puisse aider dans l'étude de mécanismes spécifiques, elle reste trop simpliste. Dans ce chapitre, des génotypes prometteurs ont été identifiés : KA-28 pour une compartimentation et une tolérance tissulaire efficaces du fer, L-43 pour l'exclusion du fer et Tsipala pour la tolérance malgré une sensibilité visuelle. Ces génotypes représentent de précieuses ressources génétiques pour la poursuite des recherches.
Le deuxième chapitre a étudié l'effet du magnésium (Mg) sur la tolérance à la toxicité ferreuse. Une expérimentation a été réalisée sur sept génotypes de riz présentant des degrés variables de tolérance à la toxicité ferreuse, utilisant un dispositif expérimental en split-plot comprenant huit traitements d'engrais, sept variétés et quatre répétitions. Les symptômes foliaires de toxicité ferreuse (brunissement) ont été évalués visuellement tout au long des stades de croissance, tandis que les parties aériennes ont été prélevées à différents moments pour une analyse minérale du fer, du Mg et du K. L'apport de Mg a significativement atténué les brunissements, sans affecter le rendement en biomasse ou en grains, tandis que celui de K, bien qu'il n'ait eu aucun effet sur les brunissements, a entraîné une augmentation significative de la biomasse aérienne et du rendement en grains. Ces résultats suggèrent que le Mg diminue la toxicité ferreuse sans affecter directement la croissance, tandis que le K a un effet inverse. De plus, les plantes traitées au Mg présentaient généralement des concentrations en fer plus faibles dans leur biomasse aérienne, ce qui suggère une exclusion renforcée au niveau de la plante entière. Cependant, l'analyse de plusieurs génotypes a montré que les symptômes de la toxicité ferreuse étaient également atténués sans diminution concomitante de la concentration en fer, suggérant qu'un apport accru en Mg confère une tolérance au niveau tissulaire. Ce chapitre fournit des indices pour atténuer le brunissement des feuilles induit par la toxicité ferreuse chez le riz.
Le dernier chapitre de cette étude a évalué l'état nutritionnel de différents génotypes de riz présentant des mécanismes de tolérance variés à la toxicité ferreuse. Pour ce faire, six/sept génotypes de riz a été cultivé pendant deux ans dans un champ fortement affecté par la toxicité ferreuse. Le taux d'absorption des nutriments, leur concentration ainsi que le ratio nutriments/fer ont été mesurés à différents stades de croissance. Pendant le stade végétatif, les génotypes à mécanisme d'exclusion favorisent des ratios nutriment/fer élevés en limitant l'absorption du fer, tandis que les génotypes à mécanisme d'inclusion (tolérants et sensibles) privilégient une acquisition globale des nutriments, y compris le fer, ce qui entraîne des ratios plus faibles. Ces stratégies assurent une production de biomasse adéquate pendant cette période. Cependant, au stade reproductif, les génotypes sensibles à mécanisme d'inclusion accusent une absorption réduite des nutriments autres que le fer, fragilisant leur résilience et entraînant une biomasse et un rendement inférieurs. En contraste, les génotypes tolérants maintiennent ou augmentent l'absorption globale des nutriments, garantissant une production efficace de biomasse et de rendement. Malgré des profils nutritionnels comparables, les génotypes tolérants à mécanisme d'inclusion présentent systématiquement une absorption accrue en calcium (Ca) et en zinc (Zn), ainsi que des ratios Ca/Fer et Zn/Fer supérieurs à ceux des génotypes sensibles à mécanisme d'inclusion. Ceci suggère un rôle potentiel de ces éléments dans la tolérance à la toxicité ferreuse. Les corrélations faibles à modérées observées entre les caractéristiques du riz et l'état nutritionnel mettent en lumière l'influence de facteurs additionnels, notamment pour la prédiction du rendement, soulignant ainsi l'importance de prendre en considération le stade de croissance. Deux points clés ressortent de cette étude pour renforcer la résilience du riz à la toxicité ferreuse : (i) sélection ciblée : comprendre les mécanismes de tolérance à chaque stade guide les programmes de sélection variétale, visant des ratios nutriment/fer efficaces pendant le stade végétatif et une absorption globale robuste des nutriments pendant les stades reproductifs. (ii) agriculture intelligente : une fertilisation ciblée basée sur les mécanismes de tolérance des génotypes et le stade de croissance du riz optimise l'équilibre nutritionnel et le potentiel de rendement.
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